L’affaire Red Bull, qui a monopolisé l'actualité ces dernières semaines sur la toile comme dans les autres tabloïds, m’a conduit à faire un parallèle avec un autre "scandale sanitaire" qui avait mis en péril une entreprise française du secteur quelques années auparavant, Perrier.
Petit retour en arrière …
En 1989, le groupe Perrier constitue l’une des entreprises les plus en vue du marché français avec un bénéfice approchant les 1.250Mds de francs (approx. €190m). Dans les années 90, des traces de benzène sont découvertes en interne au sein de bouteilles à destination du marché U.S. La direction passe l’information sous silence; les valeurs de benzène relevées ne présentant aucun risque de nature à affecter la santé des consommateurs (la teneur étant beaucoup trop faible).
Une fuite d’information d'origine interne amène la FDA (Food & Drug Administration) à déclencher l’alerte. Les suspicions de la haute autorité sanitaire américaine seront confirmées par des analyses ultérieures qui seront menées en un temps record. Dix jours après la détection de la présence de benzène par la FDA, Perrier se doit de retirer trois millions de caisses du marché. Une tentative désespérée visant à limiter l’impact de ce désastre médiatique sur l’image du groupe ! Finalement, les ventes auront été interdites dans de nombreux pays tels que les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Suisse, le Canada etc…. La sphère médiatique s'est alors empressée de relayer cette nouvelle à sensation, amplifiant les débats autour de la boisson gazeuse, contribuant ainsi à dégrader l'image de la marque auprès des consommateurs et ce alors même qu’aucune analyse n’avait pu attester de la dangerosité du produit pour l'homme. L’image de marque de Perrier ainsi que ses ventes se dégraderont de manière substantielle et conduiront le groupe au bord de la faillite.
Le plan de contre-information basé sur un aveu de la part de la direction, un retrait de l’ensemble des bouteilles du marché, une campagne d’information axée sur une parfaite transparence et des analyses scientifiques réalisées par des laboratoires indépendants sauveront le groupe.
Le cas Perrier reste aujourd’hui un parfait exemple de l’impact que peut produire une campagne de désinformation bien orchestrée. Il souligne également l’importance que revêt la mise en œuvre de scénarii afin de répondre à des situations de crise.
Quelques années plus tard…
En Juin, les autorités hongkongaises découvrent des traces de cocaïne dans des cannettes de Red Bull. Quelques jours après l’annonce publique de cette découverte, c’est au tour des instances taïwanaises de confisquer près de 18 000 cannettes de la plus populaire des boissons énergétiques. Des traces de cocaïne en très faible quantité, de l’ordre de 0,1 et 0,3 microgrammes par litre, ont ainsi été retrouvées dans le « Red Bull Cola », « Red Bull Sugar Free » ainsi que dans le « Red Bull Energy Drink ».
La blogosphère s’approprie alors le sujet (cf. évolution des mots Red Bull et Cocaïne sur les blogs via blogpulse:http://tinyurl.com/mlczf2) et des titres satiriques commencent à apparaître ainsi que des billets à titre plus informatif…
Petits morceaux choisis: « L’on comprend mieux, dès lors, pourquoi le Red Bull donne des ailes », « Red Bull : la cocaïne liquide »… ( Je n’ai pas traduit le reste des réactions afin de ne pas dénaturer les propos des blogueurs) :
- "Now we know where the wings line comes from"
- "Wow, so that’s why I can’t stop drinking red bull, lol ! This is really surprising. I expect some lawsuits to come out of this. Not from me though!"
- "Oh my god Chris, relax. Red Bull are not “intentionally harming” their consumers. The amount contained is so small that it poses no health risk"
- "Banning the products is just a stupid overreaction. It is not even 0.4 micrograms PER CAN it’s per litre"
Un site a même été créé, proposant de voter pour ou contre l’interdiction pure et simple du Red Bull. En dessous des boutons de vote « Yes » / « Not », une inscription : « Vote now and enter your Zip code to claim a 250$ grocery gift card ». (http://www.redbullcocaine.com)
Si l’on analyse les réactions des bloggeurs, il s’avère que peu sont négatives et qu’elles sont davantage ironiques ou rationnelles.
Par la suite, les autorités sanitaires du Ministère de la Protection du Consommateur en Allemagne trouvent des traces de cocaïne de l’ordre de 0.13 microgrammes par cannette. L'instance ministérielle conclut, pour autant, au caractère inoffensif de la boisson. B. Kuehnle, à la tête de cet organisme, établit «qu’il faudrait boire 12 000 litres de Red Bull Cola pour sentir des effets nocifs ». Néanmoins, le produit sera banni de 6 Etats fédéraux d'Allemagne.
Le produit reste pourtant librement disponible sur le reste du marché européen et du marché U.S. En France, le produit est distribué depuis 2008, après que les réticences exprimées par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, non pas liées à la présence de cocaïne mais à celle de taurine, se soient dissipées.
En Autriche, le Ministre de la Santé a assuré ses concitoyens qu’aucune addiction liée à la présence de traces de cocaïne n’était envisageable.
Comment passe- t- on d’une boisson énergétique à un produit narcotique ?
Les traces de cocaïne proviennent des extraits de feuilles de coca qui, après « dé-cocaïnisation », servent de composants aromatiques. Red Bull n’est pas le seul produit à utiliser les feuilles de coca afin de modifier le goût des aliments. En effet, la non moins fameuse boisson Coca Cola utilise également des extrait de feuilles de coca dans sa composition, en tant qu’aromate. On comprend mieux pourquoi la FDA n’a alors soulevé aucune objection.
Une stratégie de contre information à l’opposée du cas Perrier.
Les deux campagnes de désinformation auxquelles ont été soumises les Entreprises Red Bull et Perrier présentent des similitudes : présence de substances nocives en quantité soit disant dangereuse, appropriation massive par les médias du sujet etc…
Ce qui diffère, c’est la réponse apportée par les deux groupes. La politique de contre information menée par Perrier consistait à faire profil bas, faire preuve de transparence et attendre les conclusions des analyses complémentaires menées par des laboratoires indépendants.
La réponse apportée par Red Bull fut quelque peu différente de celle choisie par Perrier. Red Bull, dès le 2 Juin 2009, a publié un démenti officiel indiquant que les conclusions des autorités asiatiques étaient simplement erronées et devaient résulter d’une erreur. L’entreprise poursuit parallèlement ses propres analyses sur des échantillons issus des stocks incriminés. « Il aurait été totalement impossible, pour les autorités Hongkongaises ou quelques autres autorités, d’avoir trouvé des traces de cocaïnes dans la boisson Red Bull Energy » déclarait Daniel Beatty, Directeur Marketing Red Bull pour la zone Asie Pacifique. Celui-ci persistera dans cette voie avec fermeté : « Nous espérons que les autorités Hongkongaises reconnaitront bientôt leurs erreurs».
Demander des excuses a une autorité gouvernementale ? Une réaction quelque peu inhabituelle.
Une autre variable ayant attrait à l’évolution des ventes marque une profonde différence entre les deux cas. La campagne de désinformation dont avait été victime Perrier avait conduit à un effondrement des ventes de la marque. Les ventes de Red Bull, elles à l’inverse, n’ont pas diminué mais explosé. Les traces de cocaïne et le buzz qui s’est formé autour de l’affaire ont boostés la demande.
Comment expliquer une telle divergence dans les réactions des consommateurs ?
D’une part, du fait des caractéristiques qui qualifient la population adepte de la marque. D’autre part, les fondements des politiques de merchandising et politiques marketing mises en œuvre par Red Bull.
1/ Qui est le consommateur type de Red Bull ? Il est jeune et recherche des états euphorisants (le Red Bull se boit très souvent accompagné d’alcool). Dans cette perspective la présence de cocaïne s’inscrit parfaitement dans l’atteinte d’un seuil d’excitation optimale (indépendamment de considérations médicales).
2/ En quoi le Red Bull est il différent des autres boissons énergétiques ? Pourquoi boire du Coca plutôt que du Pepsi ? Ce n’est pas le goût qui conduit à choisir du Red Bull plutôt que du Burn ou du Dark Dog. Le succès de cette boisson repose sur le mystère qui entoure sa composition. Son caractère énergétique est « apparemment » lié à un mélange de caféine et taurine. Toutes les boissons de ce segment contiennent de la caféine, c’est donc le buzz autour de la présence de taurine et le flou qui entoure cette substance, qui sont la base de la réussite marketing de cette boisson énergétique. Beaucoup ont pensé que la taurine était une hormone issue du Taureau, du fait de l’association entre le logo (deux taureaux qui chargent face à face), le nom de la marque et le nom de l’hormone.
Une clarification s’impose : la taurine est un dérivé d’acide aminé fortement présent dans la bile de taureau, d’où son nom. Mais elle est également présente naturellement dans le corps humain. Aucune partie, (même intime comme j’ai pu l’entendre...), de l’anatomie du Taureau n’est directement ou indirectement utilisée dans la composition de cette boisson…
Pour résumer: la marque entretient une subtile confusion autour d'une boisson contenant « apparemment » des "hormones de taureaux" et maintenant de la cocaïne, mais sans pour autant représenter un quelconque risque pour la santé puisque disponible légalement sur le marché.
Néanmoins s'il s'avère qu'une véritable campagne de désinformation a été menée à l'encontre de Red Bull, un élément permet de comprendre pourquoi le démenti a bénéficié rapidement d'une forte crédibilité.
Avec l’avènement du Web 2.0, le consommateur s’informe, échange et n’est plus dépendant de quelque média que ce soit pour accéder à l’information. Je pense que cela a conduit à crédibiliser le démenti de Red Bull et au contraire à tourner en dérision le comportement alarmant des autorités sanitaires gouvernementales. Le consommateur est plus informé, plus réactif et n’est plus seulement récepteur d’information, il véhicule des opinions et les exprime.
Néanmoins, une question persiste: Red Bull a-t-il été victime d’une campagne de déstabilisation ou bien a-t-il profité d’un merveilleux coup marketing ?
Sources :
Red Bull sales soar after German cocaine ban, Austrian Times, 15 Juin 2009
Traces of cocaine found in cans of Red Bull in Hong Kong, DowJones Business News, 2 Juin 2009
Guerre et Contre Guerre de l’information économique, Article Paru dans la Revue de Echanges en 1994, P.J. Gustave.
Cocaine Flap Could Give Red Bull Sales « Wings », CNBC, 3 Juin 2009
Statement Regarding Reports Out of Asia Regarding Red Bull Energy Drink, Reuters, 2 Juin 2009
Health officials say cocaine in Red Bull Cola harmless, The local.de, 26 Mai 2009
Hooked on Red Bull? It’s been a banned in parts of Germany for containing Cocaine, Inquistr.com, 25 Mai 2009
Taurine dans le Red Bull: la France avait tort d’avoir peur, Rue 89, 06 Aout 2009
Traces of cocaine « found in Red Bull » in Hong Kong, Yahoo News, 2 Juin 2009
Red Bull’s New Cola: A Kick from Cocaine?, Time.com, 25 Mai 2009
Yoann Rodriguez
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