mercredi 15 août 2012

Intelligence Economique au Japon, quel état d'esprit?



Au Japon, l'intelligence économique (IE) n'a pas la même approche qu'en France. Le concept n'existe pas en tant que tel. En France, plusieurs chercheurs, intellectuels et experts dans ce secteur ont déjà démontré comment l'IE se pratique au Japon, mais, en réalité, les japonais ne nomment pas en tant qu'"intelligence économique" toutes ces activités de collecte, analyse, diffusion et protection de l'information (sans parler du 3e volet de l'IE, l'influence).1

Le rapport "Intelligence Economique et PME" de CRCI (Chambre régionale de commerce et d'industrie de Paris – Ile-de-France) de septembre 2007 décrit le Japon comme un pays qui a "une longue tradition de gestion et de partage de l'information", et explique que

  • les activités de recueil de l'information sont pour tous les japonais aussi naturelles qu'indispensables;
  • les jeunes japonais sont formés dès l'école et jusqu'à l'Université à l'accumulation des connaissances et au travail de groupe avec un véritable partage de l'information (et des connaissances).
Le Japon est "un Etat au cœur des réseaux d'influence" avec l'interconnection des organisations (METI, JETRO, SOGO  SHOSHA (société de commerce général), KEIDANREN…etc) où le recueil et la circulation des informations sont des actes naturels et ancrés dans les activités.

Cet état d'esprit n'existe pas qu'en entreprise, il est présent jusqu'à dans la vie privé : chaque japonais aime chercher les informations et les partager avec les autres !

Guy Faure (chercheur au CNRS, Institut d'Asie Orientale) écrit dans son article "La pratique de l'intelligence économique au Japon : un modèle sans école" que malgré la crise économique et la mise en question du modèle de management japonais, l'IE est une spécialité où les japonais gardent leur crédit intact. Il explique que "les modes japonais d'appropriation et de gestion des connaissances continuent d'interpeller les spécialistes, à la recherche de clés pour comprendre leur fonctionnement dans ce pays, qui a su les mettre efficacement au service de son économie."

Il montre bien sûr la culture collective de l'information chez les japonais, et aussi "l'information perçue comme un moyen d'agir avec les autres plus que d'un pouvoir d'agir sur les autres".

Les japonais ont cette culture de gestion de l'information différente de celle des français.

Certains analystes reviennent sur la constitution Meiji  pour expliquer cet état d'esprit ainsi que la base de fonctionnement de JETRO en citant l'article "chercher la connaissance dans le monde afin de renforcer les fondements du pouvoir impérial". En fait, c'est le 5e article de La Charte de serment (五箇条の御誓文, Gokajō no Goseimon, littéralement, le Serment en cinq articles) de 1868 qui correspond à cet article. Cette Charte de serment est la principe base du gouvernement Meiji. Elle est composé de 5 articles et représente le Japon voulant un Etat Nation moderne avec une politique parlementaire et l'ouverture à la civilisation occidentale afin de maintenir l'indépendance face à la colonisation des pays occidentaux. L'article 5 était une expression de "l'esprit entreprenant".

Lier l'état d'esprit japonais à l'IE (et bien sur JETRO) et ce 5e article de La Charte de serment de 1868 me semble pourtant "forcé" et exagéré, mais pas sans raison : à l'époque, le Japon venait d'ouvrir le pays après 200 ans de fermeture. Le pays avait pour objectif de devenir un Etat moderne. La quête des informations pour ne pas être une des colonies occidentales était un enjeu essentiel. L'esprit collectif autour de l'empereur, donc une forte identité nationale a été créée.

Certes, cette attitude japonaise par rapport à l'information peut venir de là, mais c'est surtout après la Seconde guerre mondiale, quand le Japon a été démilitarisé et a choisi une politique misée essentiellement en économie, que le Japon a développé une véritable force en renseignement économique (Jetro a été créé en 1958 - un prochain billet sur ce sujet est en préparation).

La curiosité des japonais pour la "récolte" des informations et le décloisonnement entre différentes organisations public-privé pour la circulation fluide des informations à tous les niveaux sont des facteurs importants: la mise en place d'un système d'IE est bien sûr indiscutable, mais l'implication, le comportement et l'attitude de chaque individu par rapport à l'information est un enjeu majeur.

1. P.42 rapport "intelligence économique et PME", CRCI, 2007.

Sources/en savoir plus:
  • Guy Faure, "La Pratique de l'intelligence économique au Japon : un modèle sans école", Asies recherches, Centre Asie, IREPD, Grenoble, n.15, 2e semestre 2001.
  • CRCI (Chambre régionale de commerce et d'industrie de Paris – Ile-de-France), "Intelligence Economique et PME", septembre2007.

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