mercredi 24 octobre 2012

Intelligence Economique, quelle place décisionnelle en entreprise ?

L’année 1994 connut la parution du rapport Martre, un document prônant principalement l’intégration de l’Intelligence Economique (IE) au sein des entreprises, la compréhension de la méthode d’optimisation du patrimoine immatériel de l’entreprise et de l’information émanant de son écosystème économique, géographique, politique et social dans le but de gagner en compétitivité, surtout dans un monde marqué par la fin de la guerre froide, l’émergence de nouvelles puissances économiques et la mondialisation des échanges, transférant ainsi la puissance de la case politique et militaire à la case économique.

2012, le poids des multinationales égale voire dépasse parfois celui des États (en 2011 la firme américaine Exxon Mobil a dégagé  un bénéfice net de 41,1 milliards de dollars, supérieur au PIB de la Suède par exemple), l’avancée des hautes technologies bat son plein avec la multiplication de brevets et de produits révolutionnaires et la concurrence est devenue féroce attaquant des 4 coins du globe avec l’émergence de nouvelles puissances économiques avantagées par la faiblesse du coût de la main d’œuvre, offrant ainsi les mêmes services tout en cassant les prix, une concurrence parfois déloyale et dépourvue d’éthique, privilégiant l’espionnage industriel et des pratiques douteuses pour s’imposer et régir les lois du marché.
Cependant, en analysant de près les différentes entreprises françaises notamment les PME, le constat par rapport à l’intégration et l’assimilation de l’IE est fort concertant. Partant d’un point de vue personnel, l’IE doit faire face à 3 obstacles majeurs en entreprise :
  • les idées reçues : l’IE signifie systématiquement Espionnage pour certains cadres et chefs d’entreprise, provoquant ainsi peur et paranoïa, malgré les efforts des spécialistes en IE pour mettre fin à cet amalgame, l'article de Madame Claude Revel "L'intelligence économique est efficace et responsable" paru dans le Monde démontre clairement que l'IE n'est en aucun cas une pratique d'espionnage.
  • une mauvaise utilisation : L’IE est considérée comme un outil et est réduite à une utilisation purement technique via la veille, confiée généralement au département Marketing (stagiaire ou jeunes recrues majoritairement), avec des outils classiques et peu performants (faible connaissance des outils de veille et de recherche, budget limité, faible maîtrise du processus de collecte et d’analyse de l’information).
  • l’ignorance : L’IE est complètement inexistante dans certaines entreprises, notamment les PME, la plupart n’ayant jamais entendu parler de cette discipline.
Dans une interview accordée à la revue Sécurité globale intitulée « L’intelligence économique en questions», Monsieur Alain Juillet déclarait que les Grands Groupes français se sont dotés de services défensifs en intelligence économique (sécurité physique et technique), mais ne pratiquent pas assez l’IE offensive (influence, lobbying...).

Pourquoi le concept d’IE peine tant à s’imposer dans tous ses aspects au niveau des entreprises ?
Il me semble que le caractère transversal et la nécessité de travail en réseau bouleversent les structures hiérarchiques. Le partage et transfert du savoir, des connaissances et de l’information va à l’encontre de la culture interne de certaines entreprises où les employés gardent jalousement leur savoir-faire et connaissances secrets, les considérant comme gage de leur valeur ajoutée et importance au sein de l’organisation.

Il y a un véritable malaise lorsqu’il s’agit de partager et diffuser, de travailler spontanément en réseau  et non dans le cadre d’un projet spécifique, malheureusement, la plupart du temps, cette culture hostile au partage des connaissances et à l’IE est renforcée par l’idéologie du top Management et de la Direction, ces derniers étant parfois peu convaincus de l’utilité et l’importance de l’IE dans le processus décisionnel et stratégique. Une direction qui ne maîtrise et ne définit pas clairement l’utilité et le but d’un concept nouveau à la culture de l’entreprise aura automatiquement du mal à convaincre le reste du corps de l’entreprise à l’appliquer et l’utiliser à bon escient.

L’IE n’étant pas une discipline technique, ne correspondant pas à un secteur précis, mais passant par la mobilisation de plusieurs expertises au-delà des compétences techniques complique la tâche pour les chefs d’entreprise. Doivent-ils la confier à des opérationnels experts-métier ? A quel département correspond-elle, R&D ? Innovation ? Planification ? Sur quelles bases peuvent-ils recruter des responsables IE ? Où s’arrête le pouvoir d’un responsable IE ?

Il est légitime de se poser ces questions, et même d’avoir parfois du mal à trouver les réponses adéquates et bénéfiques dans le processus d’intégration de l’IE.

Je pense que l’IE doit être parfaitement distincte même si elle requiert évidemment la coopération de tous les départements, il faut donc avant tout travailler sur la culture du partage et de la diffusion de l’information au sein des organisations, avec l'aide d'une plateforme efficace et simple d’utilisation de Knowledge Management (KM), des chartes internes claires, mais surtout une sensibilisation des employés de l’entreprise à ces nouvelles pratiques et leur intérêt pour la survie et la compétitivité de l’entreprise.

Durant mes expériences au sein de grands groupes comme au sein de PME, j'ai constaté que la diffusion de l’information se faisait souvent à la demande, au sein d’équipes restreintes, et n’atteignait jamais le centre de décision/direction, la recherche de l’information étant souvent considérée comme secondaire, régie par le couple temps/urgence.

Une fois la barrière de la culture franchie, l’environnement interne de l’entreprise sera plus apte à intégrer progressivement les nouvelles pratiques, ainsi le rôle du KM qui d’ailleurs doit être un département à part de l’IE est de gérer l’information et les connaissances en interne et les optimiser au maximum, facilitant la tâche pour l’IE au sein de l’organisation. Il s'agit avant tout d'instaurer le capital humain au centre de la stratégie d'ensemble.
Concernant les problématiques de recrutement, il me semble qu’opter pour des opérationnels/experts-métier est un mauvais choix, leur collecte et traitement de l’information seront forcément biaisés par leur propre vision, ce qui est contraire aux attentes de l’IE, où l’information doit être brute, réelle et objective et ne pas dévier l’analyse et la stratégie décisionnelle dès le départ. Cependant un responsable IE doit connaître parfaitement le monde de l’entreprise, le profil idéal étant un spécialiste (ingénieur, financier…) à double casquette IE.

Cette dernière phrase pose la question de la place et la valeur décisionnelle de l’IE au sein de l’entreprise, en posant la problématique je me suis rendue compte que les avis sont fortement partagés, les limites des objectifs stratégiques et tactiques de l’IE ne sont pas clairement définis dans les esprits.

L’IE élabore les scenarii, fournit des informations de grande valeur qui une fois analysées débouchent sur des stratégies bien ficelées pour gagner en compétitivité et en puissance; l'étape décisionnelle doit se faire par des analystes et stratèges de l’entreprise, mais devrait inclure dans le "process" l’avis du responsable IE, ce dernier maîtrisant bien l’information de l’écosystème de l’entreprise. Cependant les rôles d’un décisionnaire et d’un responsable IE ne sont pas identiques et ces derniers ne peuvent fusionner en un seul poste.

In fine, si l’Etat français a pris conscience de l’intérêt de l’IE pour la compétitivité et les stratégies de croissance, en créant des entités publiques dédiées à l’IE, en nommant de hauts responsables IE pour travailler en collaboration avec les ministères, en sensibilisant les firmes (grands groupes, PME, TPE…) via des colloques, conférences, rapports, ou parfois des outils "simples" tels que l’Autodiagnostic IE, un questionnaire accessible sur le site du Ministère de l’économie et dédié au PME/TPE, permettant à ces dernières de se situer en matière de bonnes pratiques IE en répondant à des questions précises et ciblées, l’IE demeure parfois prisonnière des idées reçues et de la culture hostile au changement au sein des entreprises, où la valeur de l’information n’est pas considérée comme un élément majeur de rentabilité à moyen et long termes.

Dans le contexte actuel, où la concurrence et l’avancée technologique croissent à une vitesse vertigineuse, les entreprises doivent adopter l’IE et l’intégrer intelligemment dans un monde où l’information et le savoir sont devenus le patrimoine le plus précieux de l’entreprise.

Malgré les obstacles constitués principalement de la culture hostile au changement et aux concepts innovants, nécessitant le travail en réseau et non l’individualisme qui trône partout, le rôle des leaders, chefs d’entreprises et managers est d’instaurer rapidement mais efficacement la culture de l’IE qui une fois adoptée, apporte à l’entreprise les armes nécessaires autant pour se défendre que pour "mener la danse".

Les spécialistes de l’IE ont également un grand rôle à jouer, en touchant une large audience sur les différents supports web et de communication classique afin d’éliminer la barrière de la peur et les inexactitudes entourant l’IE, mais surtout en privilégiant la compétitivité dans les thèmes abordés. 

L’heure est à l’optimisme ! En regardant de près le Baromètre de l’IE Lingway-Portail de l’IE Mai 2012, la compétitivité est au centre des débats IE sur la toile, détrônant la réputation et l’économie.
      
© lingway Vertical semantic solutions

Fadoua Yaqobi

Sources / en savoir plus :

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